Le 16 mai 2011

Environnement et développement équitable

Dis-moi ce que tu manges...

Laure Waridel, sociologue et auteure

... et je te parlerai de l'état de santé de nos campagnes et de ses habitants. J'ai vu des terres érodées, des cours d'eau pollués, des champs homogénéisés et des sols contaminés. J'ai vu des agriculteurs angoissés. J'en ai vu pleurer parce que leur voisin s'était suicidé. Nombreux ont cessé d'exercer leur métier. Chaque semaine, au Québec, on abandonne l'équivalent de cinq fermes, selon les données de Statistique Canada. La tendance est la même partout sur la planète, d'après l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (la FAO). Partout, on mesure l'ampleur de la crise environnementale, sociale et économique provoquée par un système agroalimentaire déconnecté de la réalité des champs et des gens.

J'ai grandi dans un petit village de la Montérégie. Mes parents étaient agriculteurs d'un côté comme de l'autre depuis aussi longtemps que l'on s'en souvienne. Mon point de vue n'est donc pas celui d'une «urbaine», même si j'habite Montréal depuis plusieurs années. Du haut du silo à côté de la grange de mes parents, j'ai vu la campagne se transformer. Mes inquiétudes quant aux rapports qu'entretiennent les humains avec les écosystèmes qui les nourrissent se sont confirmées en étudiant et en voyageant.

Le rapport Pronovost

À bien des égards, je partage le constat du rapport Pronovost, présenté par la Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire au Québec (CAAAQ). Les trois commissaires et leur équipe se sont rendus dans 15 régions et 27 municipalités du Québec. Ils ont lu et entendu plus de 770 mémoires et témoignages pendant 18 mois. Ils concluent leur rapport en proposant 49 recommandations pour «assurer et bâtir l'avenir».

Mais voilà qu'à peine publié et présenté, le rapport semble avoir été «tabletté». Un autre. On passe au suivant, puis à un autre. Stop! Peut-on prendre le temps d'analyser ce document et d'en débattre collectivement? Il y est question de notre avenir. Nous sommes ce pays que l'on mange, que l'on boit, que l'on respire. Traiter l'agriculture comme n'importe quel autre secteur de l'économie, c'est faire fi de son caractère multifonctionnel. C'est s'oublier. L'agriculture répond à un besoin fondamental : se nourrir. Elle influence la qualité de notre eau et de notre air, eux aussi essentiels à la vie. La manière dont elle est pratiquée façonne notre paysage et notre rapport au territoire. Elle affecte non seulement notre santé, mais également notre culture.

Bien qu'elle soit source de richesse financière à court terme, l'agriculture — et la manière dont on la pratique — peut aussi être un facteur d'appauvrissement environnemental, social et même économique. Une vision à long terme s'impose donc, et ce, dans l'intérêt de tous. Le rapport Pronovost le résume bien : «(…) l'État et la société québécoise devraient appuyer, dans toute sa diversité, une agriculture plurielle constituée de fermes de taille variable et soucieuses de produire, en respectant de hauts standards environnementaux, des aliments de qualité qui sont d'abord destinés aux consommateurs et aux consommatrices d'ici. Cela nous paraît constituer les prémices d'une agriculture moderne, novatrice et entrepreneuriale.»

Souveraineté alimentaire

La priorité doit donc être de nourrir notre monde. Voilà un moyen concret de réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant du transport des aliments tout en favorisant l'économie locale. Il y a quelques années, une étude de Claude Béland démontrait d'ailleurs que, si chaque famille québécoise achetait chaque semaine 20 $ de produits d'ici au lieu de produits importés, plus de 100 000 emplois seraient créés en une année.

Écoconditionnalité

Dans un système économique qui ne tient pas compte des coûts environnementaux et sociaux qu'il génère, les gouvernements ont le devoir de mettre en place des mécanismes économiques qui permettent d'influencer les choix des acteurs afin de s'assurer qu'on ne détruise pas le bien commun pour économiser de l'argent à court terme. En ce moment, l'écoconditionnalité est loin d'être appliquée pour l'octroi de subventions agricoles. Comme l'a souligné le commissaire au développement durable Harvey Mead dans son premier rapport, en 2006, 57 producteurs agricoles ont touché 42 millions de dollars en aide financière même s'ils contrevenaient à la réglementation environnementale. Sans compter que les petites fermes écologiques, elles, n'ont à peu près pas droit à l'aide de l'État. Leurs modes de production sont considérés marginaux, même s'ils nourrissent directement et sainement des milliers de consommateurs québécois. Pour éviter qu'un rapport ne soit «tabletté», les citoyens doivent se l'approprier. Je vous invite donc à en prendre connaissance sur le site de la Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois et à envoyer vos commentaires à son sujet directement à Monsieur le premier ministre Jean Charest.